L’exemple de Minetest / Minecraft

L’intérêt pédagogique des « bacs à sable »

Le jeu pour apprendre avec les "bacs à sable" : découvrez les potentialités de ce type de jeu pour développer les compétences du XXIe siècle : créer, collaborer, résoudre des problèmes, développer l’autonomie et l’esprit critique...

Cycle 2 Cycle 3 Cycle 4 Lycée Académie

Mis à jour le vendredi 16 septembre 2022

Le jeu pour apprendre : une longue histoire

Si l’importance du jeu en éducation est, depuis longtemps, valorisée par de nombreux auteurs [1] et ne fait plus débat, il faut reconnaître que l’intégration du jeu vidéo dans les classes, qui plus est première industrie culturelle au monde [2], n’est pas encore à la hauteur de ce que nous pourrions en attendre.

Le saviez vous ?
Dans la Prusse militariste du XIXème siècle, la formation des officiers était notamment assurée par le “kriegsspiel”. Ce descendant des échecs, eux-mêmes probablement conçus au départ pour apprendre les bases de la stratégie aux jeunes nobles, donnera naissance au “wargame”. À la fois jeu vidéo orienté vers la simulation de conflits, point de départ des jeux de rôle et outil d’enseignement numérique utilisé aujourd’hui dans toutes les académies militaires, le wargame est un genre majeur du média vidéoludique.

Qu’on se le dise : le jeu vidéo constitue un objet incontournable de la culture de nos ados  [3] Interrogés sur le sujet, seuls Angry Birds, Call of Duty et FIFA font consensus.
Mais Minecraft se démarque et se trouve aussi bien cité par des filles que des garçons. Cela n’a rien d’étonnant, la plupart des élèves y ayant déjà joué au moins une fois. Mais saviez-vous que ce jeu, avec ses 176 millions d’exemplaires vendus, est le jeu le plus vendu dans le monde, juste devant Tetris ? [4]

Reconstitution dans le jeu Minetest d’Erebor (Lord of rings)

Capture d’écran montrant une reconstitution du château d’Erebor (Le Seigneur des Anneaux) dans le jeu Minetest.


Dans le domaine des jeux de rôle, un « bac à sable » (ou sandbox) désigne un type d’environnement de jeu dans lequel aucun scénario n’est prévu et dans lequel les personnages joueurs peuvent évoluer librement. Les « bacs à sable » regroupent un ensemble de jeux vidéos tels les célèbres Minecraft et Minetest. Il convient de parler au pluriel car Minecraft n’est ni le seul, ni le premier en la matière. [5]
Pour simplifier, il faut savoir qu’il existe une multitude de Sandbox, tous développés dans des directions et/ou philosophies différentes.
Comme le démontrent plusieurs expérimentations [6], les valeurs au cœur de l’approche pédagogique des sandbox sont la collaboration et la créativité. Ces jeux offrent une grande liberté d’expression et donnent à l’utilisateur le pouvoir de mettre en forme et en action ce qu’il veut, la seule limite étant l’imagination. Certains les comparent à un Lego des temps modernes, sans limite, où tout peut alors être imaginé :

Et on peut tout y faire : miner, chasser, cultiver, élever des animaux, faire du feu, se défendre contre des monstres, recréer le champ de bataille de Verdun, le château de Versailles, ou encore, un univers permettant d’aborder le courant humaniste dans les villages de Provence aux XII et XIII siècles…… Avec une liberté complète.

Les sandbox ont aussi attiré l’attention de plusieurs grands instituts publics de géographie et de géologie. À commencer par l’Agence danoise des géo-données, qui a réalisé il y a quelques années un projet pharaonique : modéliser entièrement le Danemark dans le jeu Minecraft, en « grandeur nature ». « Vous pouvez vous déplacer librement dans le Danemark, trouver votre quartier résidentiel, construire et démolir ce que vous voulez comme dans n’importe quel autre monde de Minecraft », indiquait alors l’agence, qui a mis cette construction en libre téléchargement pour les joueurs sur son site.

Le bac à sable, pour « construire » ses apprentissages

Minecraft et Minetest sont à la base de nombreux projets en milieu scolaire. Ces jeux sont personnalisables par l’ajout (sur le serveur ou les clients) d’extensions (ou mods) et/ou de « pack de textures ». Minetest en offre un grand nombre dédiés à l’utilisation pédagogique en classe [7], et se démarque par les possibilités de personnalisations qu’il offre aux joueurs, plus particulièrement à ceux qui disposent de quelques fondamentaux de codage.
C’est ce qui fait de Minecraft et Minetest des outils intéressants pour développer tant les compétences du socle commun que les compétences du XXIe siècle en favorisant et encourageant la collaboration, en responsabilisant les élèves et en développant leur autonomie, en stimulant la créativité et la motivation des élèves.

Maths, SVT, physique, histoire, géographie, langues, philo… Le jeu peut également solliciter des notions d’électronique, d’algorithmique ou encore d’architecture. Tout y est. On est ici bien loin des clichés qui voudraient limiter à de la simple construction/reconstitution les usages des sandbox :

Représentation « fausse » des différences entre Minecraft et Minetest chez les joueurs. La beauté des interfaces dépend des mods et textures activées.

Captures d’écran comparant un paysage créé dans Minecraft et dans Minetest.

  • Comprendre, s’exprimer en utilisant la langue française à l’oral et à l’écrit ;
  • Comprendre, s’exprimer en utilisant les langages mathématiques, scientifiques et informatiques ;
  • Comprendre, s’exprimer en utilisant les langages des arts.

  • Coopération et réalisation de projets ;
  • Médias, démarches de recherche et de traitement de l’information ;
  • Outils numériques pour échanger et communiquer.

  • La règle et le droit ;
  • Réflexion et discernement ;
  • Responsabilité, sens de l’engagement et de l’initiative.

  • Se repérer dans l’espace à différentes échelles ;
  • Situer un lieu en utilisant des cartes.

Pas encore convaincu ? Des projets qui parlent d’eux-mêmes

À l’origine, il y a la liaison école-collège dans un établissement de l’académie de Créteil en lien avec le programme de SVT. En effet, les élèves de 6e du collège ont utilisé le jeu Minetest pour préparer la visite des CM2. Partant du constat que les nouveaux arrivants avaient d’importantes difficultés à se repérer dans l’établissement, il a décidé de proposer aux écoles de découvrir le collège tout au long de l’année au travers d’une interface numérique ludique tridimensionnelle. Dès l’année suivante, plus aucun élève ne se perdait !
Exemple de procédure de reconstitution utilisée par des élèves.

Captures d’un lieu (plan, image satellite...) ayant permis de le reconstituer dans le jeu vidéo.

Exemple de procédure de reconstitution utilisée par des élèves.

Capture d’écran d’une reconstitution de la classe avec des personnages dans Minecraft.

Minecraft et l’apprentissage de la programmation

Capture d’écran de l’interface de création par blocs dans Minecraft.

De nombreux enseignants utilisent aujourd’hui Minetest et Minecraft pour enseigner la géométrie (dans le plan ou dans l’espace) avec notamment les notions de périmètre, d’aire et de volume, de proportionnalité... D’autres l’utilisent également pour tester les connaissances des élèves sur les probabilités [8] ou les nombres relatifs (en utilisant les coordonnées dans l’espace qui permettent de localiser les joueurs et les objets dans le jeu). Mais aussi pour initier à l’algorithmique et la programmation.

Minecraft et la programmation : une interface à la Scratch

Logo

Logo de Minestory

Minetest et Minecraft facilitent l’exploration par les élèves des civilisations. En effet, des enseignants de primaire et secondaire proposent de reconstituer des monuments et/ou de les explorer pour y revivre des aventures et mieux comprendre l’architecture, l’histoire des civilisations, de construire des frises chronologiques [9], etc.
Pour compléter leur cours sur les pyramides, d’autres proposent aux élèves d’en reconstruire une dans le jeu, comme l’explique un enseignant britannique sur son blog [10].
N’oublions pas le projet « Minecity » qui vise à créer une ville du « Mieux habiter » en primaire [11].
Saviez-vous qu’il est également possible d’importer des cartes Minecraft vers Minetest ? Ce qui permet des passerelles entre ces jeux [12].
Enfin, certains travaillent sur la citoyenneté, la ville... avec Framinetest au sein duquel les élèves, pendant 3 ans, ont pensé, imaginé, rêvé et réalisé leur propre ville [13]

Les mods de Minetest sont écrits en LUA. De quoi laisser la main aux élèves pour « tordre » le jeu comme ils le souhaitent.

Capture d’écran d’une page de code.

Comme nous l’avons vu précédemment, Minetest et Minecraft peuvent être personnalisés en y ajoutant des « mods » et donc ajouter des options, textures, de nouveaux personnages ou des éléments de décor… au jeu.
Et petit bonus non négligeable : il est possible de les programmer soi-même. Une bonne motivation pour initier les élèves à la programmation, avec un résultat concret à la clé.
Minetest et la programmation : modifier et personnaliser votre jeu en découvrant le LUA [14]

Il est possible avec Minetest de concevoir des livres numériques et de les centraliser sur des étagères pour en faire un CDI ou une bibliothèque. Certains élèves du projet Framinetest ont par exemple rédigé des poèmes et des histoires fantastiques qu’ils ont intégrés dans une bibliothèque géante accessible à tous les joueurs. Un serveur ouvert sur le monde permet aussi les échanges en langues étrangères. À titre d’exemple, le serveur Framinetest accueille et accompagne des joueurs du monde entier accueillis par des élèves en français, anglais, allemand et espagnol.

Les conditions météorologique font partie des options activables via les mods

Capture d’écran d’un jeu vidéo représentant une scène sous la neige.

Découvrir les notions de cycles de vie, de chaînes et réseaux alimentaires, de biomes, mais aussi l’agriculture humaine, les principales notions de géologie (érosion, volcanisme…), l’influence des conditions météorologiques, de l’Homme… sur l’environnement...

Scènes variées dans un jeu vidéo réalisé en SVT

Six captures d’écran de paysages et scènes d’un jeu vidéo.

Il est également possible de travailler avec des « mondes parallèles » d’une même map pour travailler différentes périodes de l’histoire de la Terre. [15]

Framinetest : un exemple de serveur ayant accueilli plus de 14000 joueurs depuis sa création.

Capture d’écran d’un village dans Minetest.


Remarques :

  • Traitement et analyse des données
    De par la richesse des données stockées par le jeu (coordonnées, actions des joueurs,...), une extraction de celles-ci en vue d’un traitement et/ou d’une analyse est envisageable dans un contexte scolaire (construction de graphe de relations et/ou d’action par exemple).
  • Plus généralement
    N’hésitez pas à lancer des défis à vos joueurs et partagez vos expériences avec la communauté [16]

Faciliter la différenciation avec un jeu de type sandbox

Afin de motiver, mais aussi de récompenser/différencier le travail et le sérieux, Minetest offre la possibilité de mettre en place un système de niveaux que les élèves gravissent progressivement. À chaque gain de niveau, l’élève gagne ce qu’on appelle dans le jeu des "privilèges", c’est à dire des pouvoirs supplémentaires. L’objectif étant multiple : motiver, responsabiliser, développer l’autonomie des apprentissages.

Dans l’expérimentation Framinetest, ce sont ainsi pas moins de 5 niveaux, en fonction des privilèges attribués, qui ont été proposés. Le principe est assez simple : plus vous êtes compétent et sérieux, plus vous montez dans les niveaux, et donc plus vous avez de "pouvoirs". [17]

  • "Niveau 1" : c’est le niveau par défaut, à votre première connexion. Vos privilèges sont : interact, shout, home, shout, creative.
  • "Niveau 2" : interact, shout, home, creative, fast, fly.
  • "Niveau 3" : interact, shout, home, creative, fast, fly, kick, teleport, spawn.
  • "Niveau 4" : interact, shout, home, creative, fast, fly, kick, teleport, spawn, ban, basic_privs, give, settime, noclip, worledit.
  • "Niveau 5" (prof) : ce niveau donne accès à toutes les fonctionnalités du jeu : interact, shout, home, creative, fast, fly, spawn, server, password, bring, kick, worldedit, teleport, ban, noclip, privs, basic_privs, give, rollback, settime.

Si ce langage peut paraître obscur, sachez qu’il ne l’est pas forcément pour nos élèves.
Pour résumer, l’objectif est de responsabiliser et rendre autonomes les élèves, y compris dans l’administration du jeu.
Mais le résultat est audible : les élèves, autonomes et responsables, deviennent acteurs de leurs apprentissages et force de proposition.

Points de vigilance
Afin d’être totalement transparent, il est nécessaire d’aborder quelques points de vigilance quant à l’utilisation de ces types de jeu en réseau (ou pas).
En effet, incorrectement mises en œuvre, les séances peuvent ne pas permettre d’atteindre l’objectif souhaité.

  • Comme toute séance nécessitant l’utilisation d’outils numériques élaborés, il existe un risque de problème technique. Il convient donc d’anticiper ces difficultés.

  • Si la motivation des élèves est le point fort du projet, l’enseignant doit savoir fixer des limites, notamment en ce qui concerne les horaires d’utilisation (à vous de fixer les vôtres). Il faut responsabiliser les élèves les plus sérieux et leur permettre d’aller plus loin ;
  • Qui dit jeu en réseau avec Minetest/Minecraft, sous-entend autorisations parentales pour les mineurs au regard des données personnelles recueillies, stockées et traitées par le jeu (et l’enseignant) ;
  • Idem pour le nombre de séances consacrées au jeu. Une à 3 heures consacrées sur l’année sont généralement un bon compromis ;
  • La question des temps d’ouverture du serveur (horaire dans la journée) et de son ouverture sur le monde (accessible de la classe uniquement, du monde entier...) sont deux points essentiels à aborder avant de se lancer ;
  • La gestion des élèves dans ce travail hautement collaboratif est d’autant plus complexe que le nombre d’élèves connectés en même temps est grand. En clair, il faut rester "modeste" au début et travailler en petits groupes.
    Même si le travail et les notions du programmes sont abordées et comprises des élèves, il est nécessaire de toujours leur rappeler qu’il s’agissait bien d’un travail. En d’autres termes, vous risquez d’avoir des élèves ne percevant QUE le jeu si vous n’y êtes pas attentif. L’explicitation est essentielle. Tant dans les avantages du jeu que dans ses limites.

Sources


[1Dewey et Deledalle, 1983 ; Piaget, 1959 ; Winnicott, 1975

[3L’enquête PELLEAS (Programme d’étude sur les liens et l’impact des écrans sur l’adolescent scolarisé) menée par la Croix-Rouge en 2014 a constaté que 94 % des garçons et 84 % des filles interrogées déclarent jouer à un jeu vidéo de façon hebdomadaire.

[5En effet, l’ancêtre de ces jeux est InfiniMiner (2009, licence MIT) développé par la compagnie Industries Zachtronics et il a donné naissance à de nombreux rejetons auxquels Minetest, Minecraft... appartiennent

[6Framinetest

[7Page du Wiki Minetest dédiée aux mods d’intérêt pédagogique : https://wiki.minetest.net/Mods:Learning

[16Par exemple via le forum des Framacolibri (francophone, Framasoft) d’échange pédagogique sur l’usage de Framinetest : https://framacolibri.org/c/framinetest-minetest

Dans la même rubrique

Article rédigé par Frédéric VERON, Caroline Pras-Pesce